Historique de la MTC
Bien qu’il soit difficile de proposer une synthèse cohérente de l’histoire de la médecine traditionnelle chinoise, il est cependant important de comprendre les étapes de son développement au fil du temps, pour appréhender ses racines et ses fondements. C’est une médecine vivante trouvant son origine il y a plusieurs milliers d’année et dont la pratique s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui en s’adaptant à l’évolution des pathologies et en utilisant sans rupture majeure les outils diagnostiques et thérapeutiques forgés et améliorés au cours du temps. Ce processus de développement a été façonné par de nombreux facteurs, notamment culturels, philosophiques, et politiques.
Les connaissances et les découvertes accumulées par des médecins accomplis et documentées dans la littérature médicale ont été la pierre angulaire de cette évolution, ces textes classiques étant considérés comme le fondement de la pratique de la MTC, qui a évolué progressivement vers un système théorique médical unique
I. Origine et développement de la Médecine Chinoise
1. Période légendaire
La civilisation chinoise fait traditionnellement remonter ses origines à trois personnages mythiques qui marquent les différentes étapes de son évolution
– Fu Xi, inspirateur du célèbre Yi Jing (Livre des Changements). Fondateur légendaire du peuple chinois, il est censé avoir inventé les fondements de l’écriture chinoise, le calendrier et aurait organisé l’élevage et la pêche.
– Shen Nong, le Divin Laboureur, aurait transmis aux hommes les techniques de l’agriculture et les bases de la pharmacopée. Auteur présumé du Shen Nong Ben Cao Jing (Traité de matière médicale de Shen Nong), l’ouvrage présente les descriptions d’environ 365 herbes, une des plus anciennes matières médicales qui nous soit parvenue.
– Huang Di, l’Empereur Jaune, référence fondamentale dans la médecine chinoise, puisqu’ il aurait notamment communiqué à son peuple les fondements de la médecine chinoise et de l’acupuncture, particulièrement à travers le célèbre Huang Di Nei Jing (Classique Interne de l’Empereur Jaune), également appelé Nei Jing, recueil de discussions entre l’empereur Jaune et son médecine Qi Bo sur la prévention des maladies et la protection de la santé. Il fournit la fondation théorique de la médecine chinoise, sur la physiologie, les pathologies, les diagnostics, la prévention et le traitement. Il est peut-être le plus ancien texte médical encore utilisé aujourd’hui.
2. Epoque pré-impériale
Dynastie Shang 1700-1100 Av.-J.C.
Les pratiques médicales de cette période ne sont pas bien connues, car aucun texte aussi ancien n’a été retrouvé. Même si quelques indices épigraphiques et archéologiques (inscriptions oraculaires sur os et carapaces, aiguilles d’acupuncture en pierre) témoignent de l’existence d’une médecine chinoise primitive remontant à plus de trois mille ans.
3. Epoque des Printemps et Automnes et des Royaumes Combattants
L’époque des Printemps et Automnes (722-481 av. J.-C.) correspond à la fin de la phase de développement strictement empirique de la médecine chinoise et au début de sa transformation en système médical cohérent. A cette période naissent deux personnages dont la pensée exercera une influence déterminante sur la philosophie chinoise, et indirectement sur sa médecine : Kong Zi (Confucius), fondateur du confucianisme, et Lao Zi, auteur du Dao De Jing (Classique de la Voie et de la Vertu) et fondateur du taoïsme.
Pendant l’époque des Royaumes Combattants (453-221 av. J.-C.) apparaissent les principes des Cinq Mouvements servant à construire un vaste système de classification et de correspondances qui, une fois unifié avec le système Yin Yang et la notion de Qi, a eu un impact considérable sur toute la médecine chinoise, lui donnant toute sa cohérence interne.
II. Unification de l’Empire Chinois
1. Dynastie Qin (221-206 av. J.-C.)
En 221 av. J.-C. le roi Zheng sort vainqueur des nombreux conflits entre les royaumes qui agitaient la Chine, et devient premier empereur sous le nom de Qin Shi Huang Di. Hanté par l’idée de la mort, il regroupe autour de lui un grand nombre de savants, médecins et alchimistes, dont les investigations s’orientent essentiellement vers les techniques et substances visant à acquérir la longévité, voire l’immortalité. Cependant, il se heurta à la l’opposition de la noblesse et des lettrés qu’il jugula brutalement en ordonnant le massacre de quatre cents d’entre eux. Parallèlement, il impose un gigantesque autodafé, épargnant seulement certains ouvrages de médecine, d’agronomie et de divination.
2. Dynastie Han (206 av. J.-C.- 220 apr. J.-C.)
Cette période est prolifique aussi bien en classiques qu’en médecins célèbres.
Zhang Zhong Jing (150-219)
Il rédige une des œuvres majeures de la médecine chinoise, le Shang Han Za Bing Lun (Traité des attaques du Froid et de diverses maladies) qui sera ultérieurement divisé et réorganisé en deux parties : le Shang Han Lun (Traité des attaques du Froid) et le Jin Kui Yao Lue (Traité des prescriptions de la Chambre d’Or). Ces deux livres servent encore de référence de nos jours. Il est à la base d’un des principes les plus essentiels de la médecine chinoise : Bian Zheng Lun Zhi (traitement basé sur la différenciation du syndrome).
Nan Jing (Classique des difficultés) bien que sa paternité reste un mystère, il aborde 81 problèmes difficiles dans une approche de questions et réponses, qui visent à élucider les théories du Nei Jing et couvre de nombreux domaines différents tels que la physiologie, la pathologie, le diagnostic et la thérapeutique.
Hua Tuo (?-208) célèbre pour ses compétences en tant que chirurgien et son utilisation de l’anesthésie et réputé comme un maître de toutes les branches de la médecine: médecine interne, chirurgie, gynécologie, pédiatrie.
3. Des Trois Royaumes (220-265) aux dynasties du Nord et du Sud (420-589)
A cette époque la propagation du bouddhisme, a contribué à la diffusion de la culture indienne en Chine, dans des domaines aussi divers que les mathématiques, l’astronomie et la médecine. Autre fait important de cette période est l’institution d’un enseignement médical, jusqu’à présent, le savoir se transmettait de maître à élève.
Huang Fu Mi (214-282), Zhen Jiu lia Yi Jing (Classique de l’acupuncture et de la moxibustion) rassemble toutes les connaissances et expériences acquises dans le domaine de l’acupuncture et de la moxibustion.
Wang Shu He (210-285), auteur du Mai Jing (Classique des pouls) qui rassemble les connaissances et standardise le diagnostic des pouls.
Ge Hong (281-341), célèbre pharmacologue, taoïste et alchimiste, auteur du Zhou Hou Bei Ji Fang (Prescription d’urgence), ce livre décrit le traitement des maladies en médecine d’urgence.
Tao Hong Jing (452-536) Médecin, lettré, taoïste, alchimiste, herboriste, connu comme commentateur du Shen Nong Ben Cao Jing (Commentaire du classique de la matière médicale). Il en augmenté le nombre de plantes médicinales, et approfondi les informations sur la nature, l’emplacement et la récolte des herbes.
4. Dynasties Sui (589-618) et Tang (618-907)
La stabilité et la prospérité de la Chine ont permis à la médecine traditionnelle chinoise de connaître un formidable développement. L’enseignement de la médecine chinoise devient officiel et à partir de 624, les études sont sanctionnées par des examens d’état.
Sun Si Miao (581-682) est l’une des figures les plus populaires de la médecine chinoise. Auteur du Qian Jin Yao Fang (Prescription valant mille pièces d’or) y expose toutes les connaissances médicales de l’époque en abordant diverses branches de la médecine, de la pharmacopée et de l’acupuncture, il a apporté une grande contribution au traitement des maladies issues de la malnutrition.
5. Dynasties Jin du Nord (1115-1234), Song du Sud (1127-1279) et Yuan (1277-1367)
Sous les Song, le développement de l’imprimerie favorise la recherche, la restauration et la publication des œuvres médicales. la plupart des textes classiques sont reconstitués, compilés, commentés, puis publiés.
Cette période est principalement marquée par l’influence de quatre grands maîtres, chacun ayant fondé un courant médical spécifique, issu de son interprétation de certains aspects du Nei Jing et de son expérience clinique.
Liu Wan Su (1120-1200) Sa théorie repose sur le fait que les énergies pathogènes se transforment toutes en Feu lorsqu’elles sont emprisonnées à l’intérieur du corps. Il préconise l’emploie de substances fraiches et froides, et fonda l’« École du Froid et du Frais » (Han Liang Pai).
Zhang Cong Zheng (1156-1228) pense que toutes les maladies sont causées par des énergies pathogènes et qu’elles doivent être chassés du corps par la transpiration, la vomification et la purgation. Il fonda l’«École de l’Attaque et de la Purgation ».
Li Dong Yuan (1180-1252) témoin des nombreuses famines qui accompagnèrent la conquête mongole. Pensant notamment que les déséquilibres alimentaires, l’épuisement excessif et les perturbations émotionnelles étaient les facteurs principaux entrainant un affaiblissement de la Rate et de l’Estomac. Il fonda l’« École de la tonification de la Terre » (Bu Tu Bai) qui met l’accent sur la tonification du Qi et du Yang de la Rate.
Zhu Dan Xi (1280-1358) Intégrant les théories de ses prédécesseurs. Soulignant que le Yang tend à être excessif et le Yin déficient, il préconise l’enrichissement et la préservation du Yin et le contrôle du Feu pour le maintien de la santé et le traitement des maladies. Il est le fondateur de l’« École de l’entretien du Yin » (Yang Yin Pai).
Chen Wu Ze organisa l’étiologie des maladies en trois catégories (externes, internes et diverses) en 1174 dans le San Yin Ji Yi Bing Zheng Fang Lun (Traité sur les trois catégories de facteurs pathogènes des maladies).
6. Dynasties Ming (1368-1644), Qing (1644-1911)
Pendant cette période, l’agriculture, l’art et la culture ont prospéré avec les échanges internationaux. La médecine progresse en répertoriant les prescriptions médicales et en élaborant la théorie des maladies fébrile.
Li Shi Zhen (1518-1593). Issu d’une famille de médecins, il est l’auteur du Ben Cao Gang Mu (Compendium de la matière médicale). Vaste encyclopédie médicale comprenant 1892 ingrédients. Il a révisé la classification des médicaments, élargi la liste des médicaments connus, corrigé les erreurs précédentes et créé des lignes directrices pour la collecte, la préparation et l’utilisation des médicaments. Le livre résumait la plupart des informations sur les médicaments disponibles au seizième siècle. Il attache une plus grande attention dans son travail à la prévention de la maladie plutôt qu’à sa guérison.
C’est à la fin des Ming et durant la dynastie des Qing que se développa l’« Ecole des maladies de la Chaleur » (Wen Bing Xue Pai), marquant un tournant en Chine dans l’étude des maladies fébriles et de l’épidémiologie. La théorie des six méridiens a été enrichie par l’élaboration des théories des Quatre Couches et des Trois Foyers. Wu You Ke, Ye Tian Shi, Wu Ju Tong, Xue Sheng Bai et Wang Meng Yin sont les principaux représentants de cette lignée de praticiens.
III. Époque contemporaine
En 1911, un mouvement révolutionnaire renverse la dynastie des Qing. La médecine occidentale fait son entrée en République de Chine, entrainant le déferlement de vives critiques envers la MTC. Puis en mars 1929, certains chinois formés à la médecine conventionnelle demandent l’interdiction de la discipline ancestrale. Mais ce projet sera rapidement abandonné sous la pression des praticiens et des organisations. Cette crise va conduire l’inverse du but recherché, la création de l’institut de médecine nationale, marquant l’institutionnalisation, la professionnalisation de la médecine chinoise.
Après l’avoir longuement rejetée, Mao Zedong en 1958 finit par donner un nouvel élan à la MTC en la considérant partie intégrante du patrimoine chinois et en la qualifiant de « trésor national ». Il exprima, toutefois, sa volonté de la moderniser et de l’intégrer à la médecine occidentale. Par la suite, des mesures ont été prises par le gouvernement afin de la développer, des universités et des centres de formation publics furent créés, de même que des hôpitaux spécialisés en MTC, et est reconnue en Chine comme médecine d’État, avec un statut officiel comparable à celui de la biomédecine.
En 2015, la chercheuse en pharmacie chinoise Youyou Tu s’est vu attribuer le prix Nobel de médecine, récompensée pour sa découverte de l’artémisinine, substance trouvée dans l’armoise et qui constitue un traitement au paludisme.
Pendant la pandémie de Covid-19, des plantes médicinales ont été utilisées en complément du traitement antiviral pour renforcer le système immunitaire des patients atteints du virus en Chine.
Aujourd’hui, la médecine chinoise est une discipline bien établie, avec des centres de recherche et d’enseignement dans le monde entier. Elle continue d’évoluer et de s’adapter aux besoins de la société moderne, tout en préservant les traditions et les pratiques qui ont été transmises depuis des milliers d’années.